LA CONCEPTION DU NÉGATIF DANS L'O. D. D'HENRI EY

 

 

Dr Patrice Belzeaux

Congrès du Jubilé, Paris, Juin 2000

 

Le Négatif traverse de part en part l'O.D.

Il en est le concept fondamental.

On lui doit l'Unité épistémologique d'un discours qui parcourt d'un seul tenant le Corps et l'Esprit, le Biologique et le Psychologique, la chimiothérapie et la psychothérapie.

Cette Unité est devenue précieuse en nos temps d'Eclectisme multifactoriel, toujours menacé d'éclatement ou de scission entre Neurosciences et psychothérapies avec les conséquences que l'on imagine pour nos patients et pour la profession de Psychiatre.

 

En un temps où les termes de "Positive and negative symptomatology" fleurissent sous la plume des grand auteurs anglo-saxons (T. Crow, N. Andreasen, Carpenter, etc. . . ), comme dans les banales publications de surface reprises par les médias ou les laboratoires pharmaceutiques, il m'est apparu digne d'intérêt de faire le point sur au moins une de ces notions -le négatif- dans le modèle OD d'Henri Ey.

Si dans la littérature contemporaine sur la schizophrénie, les troubles négatifs sont des équivalents des troubles déficitaires (que l'on rencontrait dans l'ancienne hébéphrénie) et les troubles positifs représentent les troubles productifs comme le Délire et les Hallucinations, donc recouvrent des acceptions avant tout descriptives et susceptibles d'un assez facile accord interjuge, il n'en est pas de même dans le modèle OD d'Henri Ey où la dimension psychopathologique domine et organise la description clinique.

Nous verrons que le Modèle OD s'oppose dans la profondeur de ses analyses et de ses implications à l'empirisme descriptif et qu'il débouche sur une vue d'ensemble du champ psychopathologique et d'une logique de l'articulation entre le corps et l'esprit au travers d'une conception de la Représentation et de l'activité symbolique de l'Homme.

 

Sans vouloir prendre l'hallucination comme exemple de cette problématique du positif et du négatif -bien qu'elle constitue l'axe des travaux de Ey- citons pour commencer cette phrase extraite de son fameux "Traité des Hallucinations", précisément dans ce grand chapitre intitulé "La condition négative des phénomènes hallucinatoires" (les processus hallucinogènes). Chaques mots comptent:

 

"Nous avons, dès l'Avant-Propos, dans toutes les parties de cet ouvrage dénoncé l'erreur qui consiste à considérer l'Hallucination en tant que symptôme positif (. . . ) sans la faire dépendre du trouble négatif."1

 

Et pour introduire aux problématiques dont nous aurons à débattre:

 

". . . la manifestation positive de la figure (sa configuration hallucinatoire) est une apparence, vécue par l'halluciné comme un objet réel qui est là, irrécusable et inconditionnel, comme un absolu de vécu ou de perçu, tandis qu'au regard du clinicien et spécialement du pathologiste, elle est un symptôme, un signe, qui ne se manifeste pas seulement par son apparition mais qui manifeste par son apparition un arrière-fond dont il est l'effet."2

Et de suite:

"Le mérite de la théorie pathogénique de la négativité fondamentale ou formelle de l'hallucination revient incontestablement à Huglings Jackson. . ."3

Dans ces quelques citations extraites de l'œuvre majeure de Ey sont contenus la plupart des termes dialectiques que nous allons parcourir: symptôme positif et trouble négatif, figure et fond, Contenu et forme; dans lesquels Négatif, Fond et structure formelle auxquels se rajoute l'organique et l'organisation de l'Organo-D, forme une première série. Une distinction cependant, à laquelle il faudra prendre garde surgit entre symptôme négatif et trouble négatif. Nous en reparlerons plus loin. Cette série de termes est articulée -cette notion d'articulation est importante: il n'y a pas de positif sans négatif- à une deuxième série, soit au positif, à la figure et au contenu auquel se rajoute sur la même ligne la signification des affects, le sens déchiffré par l'interprétation et le Dynamisme de l'O-Dynamisme. Ajoutons que pour Ey toute la psychopathologie OD part de H. Jackson et c'est par lui que nous allons très brièvement commencer.

 

Histoire des concepts Positif/Négatif dans l'OD

 

I) Le négatif et le jacksonnisme:

Dans le fameux mémoire de 1894, traduit par Ey et Rouart4 en 1936, excellemment commenté et situé dans l'oeuvre de Ey par G. Berrios5, J. Garrabé6 et RM Palem7 citons cette phrase de H. Jackson qui résume très bien son élaboration conceptuelle et que Ey reproduit de nombreuses fois:

 

"On dit que la maladie est cause de la folie. Je précise que la maladie ne produit que des symptômes mentaux négatifs répondant à la dissolution, et que tous les symptômes mentaux positifs complexes (illusions, hallucinations, délire et conduites extravagantes) sont le résultat de l'activité d'éléments nerveux non affectés par le processus pathologique, qu'ils se manifestent pendant l'activité au niveau inférieur de l'évolution qui persiste. . . Les idées les plus absurdes et les actions les plus extravagantes des aliénés sont les survivances de leurs états les mieux adaptés. Les illusions d'un aliéné ne sont pas causées par la maladie mais sont le résultat de ce qui reste de lui (de ce que la maladie a épargné). . . Ses illusions, etc. sont son esprit"8

 

On ne saurait mieux souligner, comme le font G. Berrios, J. Garrabé et R. M. Palem qu'Henri Ey s'appuyant fortement sur les textes jacksonniens, après Th. Ribot, Von Monakow et R. Mourgue, va asseoir la conception d'une "articulation logique et ontologique" des symptômes positifs et des symptômes négatifs que l'on retrouvera tout au long de son oeuvre et de son enseignement. C'est en cela que les travaux contemporains qui utilisent ces termes de façon indépendante, sont à l'opposé de la conception de Jackson et du néojacksonisme de Ey: ils décrivent la déficience ou l'exaltation d'un comportement ou d'une fonction bâtissant autour de ses pôles des configurations cliniques correspondant à une causalité neurobiologique et comportementale directe excluant le sens des symptômes et la parole du Sujet. Au contraire une conception néojacksonienne organo-dynamique visera toujours "le désordre primordial de l'organisation" sous "la force qui anime sa manifestation" (Ey) et soutiendra de ce fait qu'il existe un "écart organo-clinique". C'est ainsi qu'Henri Ey recommandera fortement au pathologiste d'interpréter les manifestations cliniques: les désordres qui composent le tableau clinique ne peuvent être le calque, le double des désordres qui affectent le SNC. Car l'hallucination n'est pas un objet mais un fait de parole qui ne peut se saisir que dans l'espace anthropologique de la rencontre avec l'Autre (Ey).

On ne s'étonnera pas de trouver comme paradigme de l'articulation du positif et du négatif, le Sommeil et le Rêve9 . Ces faits, inlassablement repris par Henri Ey, sont trop connus pour que nous y insistions. Notons simplement que l'Encéphalite Epidémique de 1921 de Von Economo Cruchet dite aussi "oculo-léthargique" qui associait des troubles parkinsoniens, oculaires et du sommeil avec un ensemble de manifestations recouvrant toute la pathologie mentale a fortement impressionné Ey, comme en témoignent les conversations privées que nous eûmes avec lui en 1976, le paragraphe qu'il lui consacre après l'épilepsie dans les "preuves" du trouble négatif, et l'épais dossier d'archives conservé à Banyuls. Le Sommeil donc comme paradigme du Trouble négatif et de la déstructuration de la conscience.

Ce que dit Ey aux pathologistes comme aux psychanalystes c'est de ne pas se laisser capturer par le Rêve, par la beauté surprenante et chaotique de ses images, comme par le jeu intellectuel de son interprétation, mais de s'intéresser au Sommeil, au trouble négatif, véritable fondement de la science psychiatrique.

 

II) Le Négatif dans la clinique psychiatrique d'H. Ey:

La clinique de Ey est dominée par la notion de structure phénoméno-existentielle cherchant à rendre compte de l'être-au-monde du sujet.

a) Clinique des psychoses aiguës: Symptôme, Structure et Trouble.

 

Dans les "Etudes psychiatriques" en 1948-54, Ey soutiendra le paradigme Sommeil-rêve et appliquera les principes jacksonniens à la clinique des psychoses aiguës. Ici le concept de Négatif va être le lieu d'une difficulté: celle d'une distinction entre "symptômes négatifs", "structure négative" et "trouble négatif".

Les symptômes négatifs, suivant la définition classique, sont des déficits ou abolitions de fonctions qui se traduisent dans des comportements abolis ou amoindris.

Ainsi dans la fameuse Etude N° 21 consacrée à la manie10, Ey, comme il le fera désormais dans l'ensemble de ses études cliniques, isole de l'exposé traditionnel de la clinique, une analyse structurale phénoméno-existentielle qui conduit à un diagnostic structural de structure positive et de structure négative. Cette approche structurale et le vocabulaire qu'elle utilise correspondait aux travaux remarquables de phénoménologie psychiatrique en particulier ceux d'E. Minkowski11.

La structure négative de la manie se découvre à l'analyse clinique et psychopathologique derrière ou sous le tableau clinique qui,

"caractérisé par une extrême exaltation de l'activité psychique inférieure, donne bien l'illusion qu'il n'y a pas de troubles déficitaires"12, mais l'exaltation d'une fonction .

 

Ainsi il ne s'agit pas d'une simple description empirique collant aux apparences, mais d'une analyse "clinique et psychopathologique" qui ne veut pas être dupe de ce qui "donne l'illusion":

"Sous l'exubérance, le faux semblant et «l'hyperlucidité» apparente, sous cette fausse clarté, il y a déjà un crépuscule de la conscience". Il y a "sous l'impétuosité de mouvement vertigineux, une vertigineuse impossibilité de s'arrêter." "Une déstructuration temporelle éthique13"

Ainsi ce qui apparaîtrait comme un symptôme positif de la crise maniaque, l'exaltation et la fuite des idées, devient par l'analyse structurale le reflet d'une "structure négative" elle-même effet d'un trouble négatif, d'une déstructuration de la conscience.

Inversement dans la Mélancolie14 , la structure négative "parait plus importante qu'elle n'est"15 (toujours l'illusion clinique) et la construction thématique ou le "drame" comme "le retour aux fantasmes de l'angoisse primitive" constituent la structure positive, c'est à dire le sens général de l'existence mélancolique.

On peut donc voir qu'une exaltation que l'on rangerait aujourd'hui dans la liste des symptômes positifs, fait partie de la structure négative comme impossibilité et qu'une régression à une angoisse primitive peut faire partie, contre toute attente, de la structure positive dans la mesure où elle est comprise dans un sens existentiel. La compréhension de ces apparentes contradictions passent donc par une soigneuse distinction entre "symptômes négatifs" et "structure négative" cette dernière étant l'effet d'un "trouble négatif" (de la conscience).

Nous sommes donc aux antipodes de l'acception du négatif et du positif dans la psychiatrie contemporaine et l'on peut comprendre que cet abord analytique structural qui dépend en fin de compte d'une fine interprétation existentielle et phénoménologique par un "pathologiste" ne puisse s'accorder avec une mise en liste de symptômes qui correspond à une description simplifiée des pures apparences que tout-un chacun pourrait mener avec ou sans échelles évaluatives standardisées. Avec comme corollaire de cette facilité, une simplification abusive dans l'ordre des causalités et de la conception de l'Homme comme être au monde et sujet parlant.

 

b) Clinique du négatif dans la schizophrénie: La Structure existentielle.

Ceci nous amène tout naturellement à envisager l'abord clinique de Ey concernant la schizophrénie. Nous devons à J. Garrabé d'avoir réuni les textes qu'Henri Ey avait consacré à la schizophrénie en particulier ceux qu'il avait écrit pour l'EMC en 195416 . La double inspiration Jacksonienne et Bleulerienne de Ey le conduit depuis son premier texte de 1926 avec Guiraud17 jusqu'à sa mort, à soutenir pour les études sur la schizophrénie la position déjà décrite dans les psychoses aiguës dans ses Etudes Psychiatriques. Ce sera pour nous l'occcasion d'une confrontation aux travaux actuels.

Rappelons brièvement que pour Ey, la schizophrénie est une espèce singulière du genre des délires chroniques, qui se caractérise par la discordance, le délire et l'autisme, créant au fil des crises et des événements une "dislocation" (Spaltung) de la personnalité et un monde autistique fantasmatique de retrait à l'intérieur de soi-même. Toutes les formes de schizophrénie sont délirantes pour Ey (donc aussi bien la forme paranoïde que les formes catatoniques et hébéphréniques), puisque ce qui caractérise la schizophrénie c'est le bouleversement délirant des rapports du Sujet avec la Réalité et avec Autrui.

Pour Ey l'approche organiciste comme l'approche psychodynamique de la schizophrénie sont également fondamentales. Il s'agit dans une approche organo-dynamiste néojacksonienne "d'articuler l'aspect régressif et l'aspect constructif de cette psychose"18 . C'est alors qu'H. Ey, jacksonien, propose une définition de la structure négative de la schizophrénie:

- "Elle est l'effet direct primaire du processus organique."

- "Elle correspond à tous les troubles déficitaires de la pensée formelle

à l'état primordial des expériences délirantes et hallucinatoires

à la réduction et à la régression de la vie psychique."

Ici donc, nous ne rencontrons aucune difficulté car Structure négative et Symptômes négatifs déficitaires coïncident. La liste pourrait en être faite et rejoindrait tous les items de la psychopathologie quantitative dans la définition actuelle des troubles négatifs, sauf sans doute l'état primordial des expériences délirantes.

"Cette structure négative altère la personnalité et la dislocation de la personnalité en constitue certainement le trouble déficitaire le plus typique." "Ce n'est pas seulement l'actualité de l'expérience qui est désorganisée, c'est aussi tout le système des valeurs de l'existence qui est déformé. Ce sont des troubles qui progressent avec l'évolution de la maladie dans le vécu de désagrégation, de la faiblesse et du vide du Moi."

Où l'on voit au passage, que pour Ey la Schizophrénie ne peut-être un état actuel, mais le résultat d'une évolution de la personnalité vers la dislocation. Le diagnostic ne peut être qu'un diagnostic par l'évolution.

Rappelons que dans une perspective jacksonienne ces troubles négatifs qui représentent l'effet de la lésion ou du processus, devraient engendrer des troubles positifs de libération des fonctions sous jacentes ou de réaction de ce qui reste de la personnalité. H. Ey franchit, en fait, un pas de plus, et interprétant Jackson avec la phénoménologie préfère parler de "structures" que de "symptômes"; il en donne la définition::

"La structure positive (il ne s'agit donc pas de symptômes positifs) entre dans le tableau clinique pour y figurer l'intentionnalité d'une vie psychique qui sans cesse déborde la structure négative (au point de la cacher à l'observateur)"

La structure négative est souvent cachée à l'observateur. Nous retrouvons là, avec quelques trente ans d'avance les propos contemporains de N. Andreasen dont on connait les travaux sur la dimension négative de la schizophrénie depuis 1982, qui a produit une échelle d'évaluation sur les symptômes négatifs (la SANS) et qui dans un article de 1997 souligne:

"Positive symptoms tend to command clinical attention and to be treatment-responsive, which negative symptoms are more insidious and disabling, but less spectacular. Negative symptoms, which are similar to the core symptoms of schizophrenia defined by Kraepelin and Bleuler, have not received much attention until recently because concern about reliability."19

Cependant nous ne pouvons pas méconnaitre que les auteurs anglo-saxons comme Andreasen, Crow, Carpenter, travaillent dans une dimension opposée à Ey, celle de l'atomisme sémiologique renaissant où un symptôme signifiera trouble d'un comportement et de la fonction neuro-psychologique dont il dépend implicitement: soit exagération d'une fonction: trouble positif; soit inhibition d'une fonction: trouble négatif. Ey condamnait cette approche, précisément au nom de l'esprit du Jacksonisme, celui où troubles négatifs et positifs sont interdépendants. Voici donc l'occasion pour nous de préciser encore un peu plus avant, le sens Eyien de cette articulation en reprenant la définition par Ey du positif: par quoi est cachée la structure négative de la schizophrénie? Par la structure positive.

". . . qui est selon le mot de Jackson les délires et les hallucinations. . . (rien là qui ne heurterait nos auteurs contemporains) mais ajoute Ey, "les délires et les hallucinations mêmes, en tant que vécus, en tant que contenu et continuum de la vie psychique subsistante, c'est plus généralement l'expérience autistique qui ajoute aux phases processuelles, l'effort désespéré pour se créer encore un monde."20

Donc du productif certes mais pris et interprété par le pathologiste, en tant que contenu, construction et sens que le schizophrène donne à sa propre existence. Ce qui change tout dans la définition de ces troubles positifs, car le délire et l'hallucination vont donc receler en eux du négatif (falsification de la réalité) et du positif (sens et symbolisme du monde délirant). Ainsi pour Ey:

". . . . chaque symptôme, en effet, est comme animé d'une finalité, sorte de halo intentionnel où se reflète l'autisme"21

Il n'y a donc pas lieu, pour Ey, de distinguer des types cliniques en fonction des symptômes négatifs et des symptômes positifs à partir de ces concepts comme l'ont fait nos auteurs contemporains (Type I essentiellement déficitaire et Type II productif de Crow, formes négatives, positives, ou mixtes d'Andreasen, 5 sous types de Carpenter basés sur une nouvelle définition des symptômes négatifs: primaires, secondaires,). D'ailleurs les auteurs contemporains nous disent Loas et Kapsambelis, ont bien du mal à se mettre d'accord sur

"la cohérence interne et la spécificité de la symptomatologie négative. Les auteurs ne s'accordent pas quant-au nombre des symptômes négatifs. . . Un seul item est commun aux huit échelles, c'est l'émoussement affectif. . . le dysfonctionnement social représente une dimension différente de la pauvreté de l'affect. . . l'anhédonie est indépendante de la symptomatologie négative. . . Cette dernière se rencontre aussi dans la dépression. . . etc."22

L'ensemble de ces travaux, qui portent sur des items isolés aurait été vivement critiqué par Ey car ils poursuivent les approches qu'il critiquait déjà sous la plume de Carl Schneider:

"Nous assistons ici au virage de la psychiatrie allemande contemporaine (1942) qui au fond, par là est revenue. . . aux analyses atomistiques des symptômes (à la manière de Kleist et à la manière de Guiraud et de Clérambault chez nous). Il s'agit pour C. Schneider de dégager des séries radicales de symptômes. . . Ces travaux perdent de vue la structure globale de la vie psychique."23

Reprenant cette question en 1958 lors du symposium sur la schizophrénie, H. EY souligne, prenant le contre pied de Kurt Schneider (Kurt, cette fois) sur la question du diagnostic et de l'évolution, que:

"ce n'est pas une mosaïque de signes dits "spécifiques" qui définissent l'état schizophrénique mais le mouvement de cette évolution qui aboutit seulement secondairement (sur les plans évolutif et structural) à cette forme d'existence schizophrénique."

"La schizophrénie est une forme d'existence qui ne peut absolument pas se réduire à des troubles mécaniques, ou à des phénomènes basaux nucléaires: hallucination, dépersonnalisation, sentiment de "vide, écho de la pensée. . ."

"C'est parce que Bleuler a très bien perçu la complexité de cette structure qu'il a parlé de troubles primaires et secondaires de la schizophrénie. . . cette idée à été fanée par son souci d'établir une sorte de tableau de signes primaires ou secondaires où tout le monde s'est un peu embrouillé."24

Et enfin:

"S'il est difficile et peut-être vain de rechercher quels symptômes particuliers (troubles du cours de la pensée, de l'affectivité, hallucinations, délire, stéréotypies, maniérismes, etc, -et nous pourrions ajouter à cette liste nos actuels items émoussement affectif, alogie, anhédonie, avolition-apathie, trouble de l'attention -tous items de la SANS-)- rechercher donc quels items particuliers procèdent de cette impuissance (troubles primaires ou négatifs) ou de ce besoin (troubles secondaires positifs), il n'en reste pas moins que chacun d'eux relève de cette double ambiguïté."

Nous pouvons constater une fois de plus la distinction capitale que fait Ey entre symptômes négatifs et structure négative. Les symptômes peuvent être considérés comme déficitaires ou productifs, ils sont le reflet du processus négatif; ce qui compte c'est la structure qu'ils dessinent lorsqu'on les envisage dans leur ensemble existentiel. Structure négative souvent masquée et pathogéniquement parlant, reflet direct du processus; structure positive, réaction vitale de la personnalité, sens de l'existence.

Ce qui fait donc défaut aux études actuelles c'est comme disait Ey, après l'analyse la synthèse, c'est de penser pouvoir cerner quelque chose de la schizophrénie et de son diagnostic, comme de son étiologie ou de sa pathogénie à travers une atomisation de symptômes et de troubles sans tenir compte de leurs enchaînements réciproques au sein de la constitution d'une existence et de sa structure. Car il s'agit bien de la dynamique d'une vie psychique et de la structure d'une existence, fût-elle schizophrénique et même encore plus si elle l'est, dont nous avons comme psychiatre la mission de découvrir, de comprendre, de faire comprendre et à laquelle nous devons apporter nos soins.

Donc pour Ey, la mise en liste des symptômes, rendue encore plus incontournable et soutenue par les espoirs nés de la formidable puissance des outils de traitement de l'information (il y a une adéquation totale entre cette présentation de la clinique en "items" et son possible traitement par l'informatique), ne peut en aucun cas tenir lieu d'objectivité dans le champ psychiatrique25 .

Cependant nous demandera-t-on, comment s'y reconnaître entre structure positive et structure négative si les symptômes eux-mêmes n'y suffisent pas, c. a d. si aucun d'entre eux ne peut correspondre de façon certaine et aisément reproductible à la positivité ou à la négativité de la structure? C'est sans doute en partie pour répondre à cette question "que doit-on entendre par structure négative? que doit-on entendre par structure positive?" qu'H. Ey élaborera la dialectique de la Forme et du Contenu en particulier en 1963-1968 dans La Conscience et ce jusqu'à la fin de sa vie pour mieux cerner l'ordre des causalités.

 

III) Le Négatif dans "La conscience"d'Henri Ey:

Dialectique de la Forme et du Contenu.

 

Avant d'entrer de plein pied dans la problématique du Négatif dans la conscience et de ses rapports avec l'Ics, il nous faut dire un mot des notions de Forme et de Contenu.

Cette notion et cette dialectique fort ancienne se retrouve chez Freud lorsque, dans sa Traumdeutung, il parle de Contenu manifeste du rêve et de Contenu latent du rêve. De là l'usage qui a été fait du Contenu pour tout ce qui concerne la manifestation de l'Ics, la vie affective, et par généralisation le sens, l'intentionnalité, voire le désir tel qu'en parle la psychanalyse.

Dans son Traité de psychopathologie, E. Minkowski, souligne cette origine et l'usage qui en sera fait, sous les locutions de Contenu affectif, du rêve, du symptôme, de la psychose, soulignant par ce terme leur désormais possible interprétation. Mais il souligne également qu'un Contenu pour si interprétable qu'il soit ne va pas sans un élément hétérogène qui en supporte la causalité: monde des formes, monde de l'organisation aussi26 (voir l'ouvrage de G. Durand). La dette d'H. Ey va certainement aussi à Françoise Minkowska, qui dans son étude sur l'Epilepsie et Van Gogh (thème qui devait passionner H. Ey, l'ouvrage se trouve dans sa bibliothèque) écrit en 1933:

"Entre la psychiatrie clinique et la psychanalyse, trouve sa place de cette manière l'analyse structurale. Elle ne s'occupe pas du contenu, mais s'adresse à la forme. Elle ne conçoit pas cette forme comme immobile mais cherche au contraire à l'appréhender dans sa mobilité, dans son dynamisme vivant. Cette analyse ne parle pas d'Inconscient, mais trouve dans le conscient les forces créatrices qui s'affirment par elles-mêmes. . ."27

Ainsi donc se trouve retracée la généalogie qui partant de l'analyse structurale conduit à la Conscience et à ces notions de Forme et de Contenu qui vont devenir si essentielles dans l'élaboration d'H. Ey.

 

Nous aimerions donner brièvement là quelques petites notations cliniques montrant combien cette dialectique imprègne le savoir du psychiatre: le génie de De Clérambault a isolé le prototype de la Forme sans Contenu: il s'agit de l'Automatisme Mental et singulièrement des phénomènes neutres anideiques tels que les jeux verbaux, les non-sens, les scies verbales, les vocables parasites, etc. De même les stéréotypies, le maniérisme, les rituels sont des formes sans contenus. Inversement l'accès d'angoisse avant qu'il se transforme en phobie représente bien un indicible contenu sans forme et les cliniciens savent à quel point les expériences délirantes primaires incompréhensibles trouveront peu à peu leur Contenu dans le travail d'élaboration idéo-verbal. Pures Formes, indicible ou richesse du Contenu, les cliniciens travaillent sans cesse avec ces notions.

Venons-en maintenant au corps du problème:

L'immense mérite d'Henri Ey est d'avoir fait de la Conscience une instance "Négatrice" et de l'Inconscient une instance positive. Si ce dernier, l'Ics, se représente facilement comme le foyer des poussées pulsionnelles comme force émergente donc positive, pour la Conscience, il s'agit d'une petite révolution. Car jusqu'alors, c'est à dire avant la "découverte de Paul Ricoeur" (Ey), la Conscience était une instance positive: direction de l'individu et "libre arbitre", "claire conscience"et fonction thétique assurant le partage entre imaginaire et réalité, etc. L'Inconscient (avec son préfixe négatif) était le négatif de la conscience: Il était tout ce qui n'était pas conscient et qui venait le perturber. Ce point de vue premier, d'ailleurs fortement critiqué par Lacan en 1942, est tellement classique et entré dans les représentations des rapports du Cs et de l'Ics, que les bons esprits universitaires s'y laissent prendre et l'attribuent à Ey28. Il suffit pourtant de lire l'ouvrage sur "La Conscience" d'H. Ey pour s'apercevoir qu'à chaque ligne il s'agit du contraire: la Conscience est l'instance négatrice par excellence du foyer positif ("imaginaire et lyrique de l'humanité") qu'est l'Ics. La conscience nous dit Ey n'est pas celle "de la parfaite intelligibilité, de l'adéquation absolue à l'objet, de la psychologie académique ou traditionnelle" (Ey) ou celle du "cogito cartésien". Elle est "problématique", "ambiguë", "ambivalente", "bilatérale", "conflictuelle", (Ey) etc29 .

"L'Ics doit être doté d'un signe absolument positif - le Cs d'un signe absolument négatif: celui de la Loi qui règle tous les mouvements relationnels de l'être dans son monde."30

C'est alors qu'H. Ey va développer sa dialectique de la Forme et du Contenu et considérant "l'Ics comme propriété de l'être Cs" va accentuer la suprématie de la Forme:

"Dire que les relations de Cs à Ics sont celles de contenant à contenu, cela veut dire que le contenant est la forme qu'il impose au contenu."31

"Tout ce qui entre comme «contenu» dans son champ est effectivement contraint de se soumettre à son encadrement formel."32

Somme toute il s'agit pour Ey de lier les principes de Jackson (en particulier la dialectique du positif et du négatif, et l'Intégration) avec son principe d'organisation des rapports du Cs et de l'Ics, ce qu'il appelle à cette époque "l'organisme psychique33 " (plutôt que l'appareil psychique) et qu'il nommera plus tard (1973) le "Corps psychique".

Interrogeant la Neurobiologie Ey conclut:

"On peut dire que la fonction d'intégration est essentiellement inhibitrice comme on dit en neurophysiologie depuis H. Jackson et Sherrington ou, comme nous allons l'exposer, qu'elle est une fonction de négativité."34

Interrogeant la phénoménologie, Ey reconnaît sa dette:

"ce qu'à écrit P. Ricoeur, nous a paru être particulièrement éclairant et fécond. Au moment même où il s'interroge sur la tendance à la destruction,à la pulsion de mort (que Freud assimile à la négation), il découvre précisément que cette modalité fonctionnelle, cette négativité, est la fonction par excellence de la conscience."

Il s'agit en effet écrit P. Ricoeur (p. 308-309), "d'une négation qui ne se trouve pas dans l'Ics; l'Ics, rappelons-le, ne comporte ni négation, ni temps, ni fonction du réel; la négation par conséquent appartient au même système Cs que l'organisation temporelle, le contrôle de l'action, l'arrêt moteur impliqué par tout processus de pensée et le principe de réalité lui-même. Nous voici donc en présence d'un résultat inattendu: il y a une négativité qui n'appartient pas aux pulsions, mais qui définit la conscience conjointement avec le temps, la maîtrise motrice, le principe de réalité."

 

Il faudrait ici reprendre toutes les fonctions de la conscience organisée en champ, ou tous les attributs du devenir conscient construisant le Moi comme devenant quelqu'un, pour bien saisir le lien entre cette avancée et les travaux antérieurs de Ey et ses analyses structurales. Il nous paraît aller de soi que chaque niveau d'altération de cette instance négatrice qu'est la conscience produit une nouvelle organisation psychopathologique du champ de l'actualité vécue ou de la construction du moi (cf cet effort désespéré pour se construire un monde). Ce sont ce que Ey appelle les infrastructures formelles de la conscience organisée en champ, qui pouvant s'altérer, gênèrent les confusions, les états crépusculaires, les états hallucinatoires, les états de dépersonnalisation, les états maniaco-dépressifs (de l'impossiblité de s'organiser en champ de la représentation et d'en être le Sujet à la perturbation des registres temporel-éthiques). De même dans la trajectoire de la personne ce sont les rapports du Sujet et de l'Autre réglés dans "l'organisme psychique" qui perturbent l'ordre de la Réalité soit en s'imposant passionnellement dans un coin de la réalité pour s'étendre rationnellement dans les rapports du Sujet au monde et aux autres dans les délires paranoïaques, soit que l'Autre recouvre le Sujet d'un univers fantastique (paraphrénie) soit que l'Autre prenne la place du Sujet et l'anéantisse dans la schizophrénie.

Ainsi la structure négative des psychoses aiguës comme des délires chroniques recouvre exactement l'altération de l'être conscient comme altération de la Négativité générale de l'être conscient , cette "négation de cette négation" écrira Ey, hégelien avec P. Ricoeur, à diverses reprises.

Une conséquence de cette avancée est de faire de l'Inconscient un réservoir énergétique de poussées pulsionnelles, une "pure" positivité qui, en tant que telle, n'est jamais altérée, puisque seule, la conscience, puissance de Négativité, souffre cette altération. C'est pourquoi Ey a pu dire que la psychopathologie se déployait entre une Impuissance (celle qui atteint la Négativité de l'être conscient) et un Besoin (celui de la positivité du foyer pulsionnel).

 

Le Langage et le Symbolisme entre Formes et contenus:

 

Lorsqu'Henri Ey, nous amène dans son ouvrage "La conscience" jusqu'au coeur de la dialectique du Cs et de l'Ics, il nous fait franchir un pas de plus en instaurant le "Langage comme milieu de l'être psychique." Il s'agit ici de la partie de l'ouvrage la plus dense et la plus magistrale, celle que Ey a ajoutée dans la deuxième édition de 1968 en plein débat intellectuel sur la place du langage dans les production humaine comme dans la psychanalyse. Ey tranche (dans le sens de Freud d'ailleurs qui attribuait le langage au système Cs-Précs):

"La structure de l'être conscient par excellence, c'est le langage. Car dans le cogito, je suis en pensant certes, c'est à dire en parlant."35 et, en note, contestant Lacan:

"Je pense qu'il est difficile d'attribuer à l'inconscient, dans sa latence et sa virtualité, la faculté de parler inhérente à la fonction de l'être conscient."

C'est dans et par les entrelacs du langage que vont se constituer les rapports dialectiques du Cs et de l'Ics, c a d de la forme et du contenu. Ici Ey empruntera aux linguistes sa dialectique:

"Le langage, en tant que milieu symbolique de toutes les relations du Sujet, se tient effectivement dans son milieu comme suspendu, ainsi que le rappelle Benveniste, entre une infralinguistique intentionnelle et pulsionnelle qu'il exprime et un système supralingistique logico-éthique dont il promulgue la loi."36

"S'ouvrir à son monde, c'est pour l'être conscient se soumettre à la Loi de la réalité. C'est à dire, en définitive et toujours, subordonner sa pensée et son action dans les formes générales du discours qui les soutient et les implique aux lois qui figurent les règles de la grammaire, de la syntaxe et de la logique qui sont celles de la société réelle ou idéale à laquelle chaque homme doit adhérer pour exister."37

Notons au passage la même référence de J. Lacan à la grammaire comme négativité (in L'éthique de la psychanalyse)

"Sans ce milieu symbolique de signes ou de signifiants n'aurait pu s'établir dans l'individu le régime de la loi prescrite, surtout cette manière «humaine» d'être conscient qui consiste essentiellement à avoir affaire constamment avec ce qui ne se dit pas dans son propre discours."38

"L'Ics ne se constitue que par l'action de l'être conscient qui emprunte au milieu social essentiellement verbal la forme qu'il impose à la sphère des pulsions (refoulement). Que ces formes soient des imagos (représentants figurés des pulsions) ou des mots (représentants signifiants de la loi), elles sont toujours modelées par l'être conscient qui, en refoulant la pulsion, lui confère sa figuration symbolique."39

Cette dernière citation nous permet d'avancer que pour Ey le symbolisme et sa manifestation figurée naît de l'enlacement, du choc, des poussées pulsionnelles d'avec les formes ou les infrastructures formelles de la conscience. La figuration ne gît pas toute faite dans l'Ics; elle est la résultante de cet enlacement (plus qu'entrelacement). Il ne peut y avoir de "manifestation" de l'Ics sans qu'un minimum de travail de l'être Cs vienne l'offrir à une possible manifestation. L'Ics doit être informé par les formes de la conscience. Et ces formes, nous l'avons vu, sont de négativité. C'est sans doute ce point qui fait défaut à une pleine compréhension des procédés de figuration que Freud décrit dans son Interprétation des rêves: il les décrit mais ne dit jamais comment ils s'installent.

Ainsi la figuration, (celle du symbolisme, mais sans doute aussi celle de toute représentation si tant est qu'une représentation n'est pas un décalque de la réalité mais une construction), naît d'un creux, d'un négatif, imposé au contenu brut de l'Ics, de la même manière que la figuration d'une sculpture jaillit de la pierre brute du coup de ciseau qui l'entame: "per di levare" disait Léonard40 . Chez Ey, il n'y a en fin de compte de contenu accessible et même d'Ics repérable que par l'existence de la forme, cette existence même la plus ténue de la conscience qui exerce sa détermination à tout niveau.

"Exercer cette fonction symbolique c'est pour l'être conscient disposer en lui de ce dont il ne pouvait disposer."

Dans le fond Ey n'est pas si éloigné que cela des avancées spectaculaires de la linguistique saussurienne qui ont fait les beaux jours de l'intelligentsia française dans les années 70. Par exemple la distinction saussurienne entre la Forme (articulée de la parole) et la Substance (amorphe de la pensée), c'est la forme de la parole qui donne corps à la pensée, quant-à la suprématie du Signifiant sur le Signifié de Lacan elle n'est pas éloignée en fin de compte de la suprématie de la forme de la conscience sur le contenu pulsionnel de Ey, mais aussi les travaux de Hjemslev (du cercle de Copenhague) sur la Forme et le Contenu du discours (ce dernier distinguant d'ailleurs Forme du contenu et Forme de l'expression, Contenu conceptuel et Sens).

 

On peut constater le trajet accompli et la distance qui sépare la conception de Ey du négatif de ce qui nous est donné dans la psychiatrie contemporaine sous ce même terme. Le négatif chez Ey implique toute une conception des rapports de l'être conscient à son inconscient, implique toute une dimension philosophique de la conscience comme négation et de la Réalité comme négation du fantasme de désir et comme épreuve; implique aussi toute une conception du langage et du processus de symbolisation. Car Ey va articuler cette Négativité jusqu'au coeur du processus de symbolisation. Pour lui comme pour J. Lacan, le symbole est bien le meurtre de la chose, sa négativation radicale:

"Le symbole se manifeste d'abord comme meurtre de la chose, et cette mort constitue dans le sujet l'éternisation de son désir."41 écrit-il en citant J. Lacan.

 

Ainsi est dressé ce trajet du Négatif qui parcourt toute l'œuvre de Ey et dont l'immense mérite est de lier la Négativité impliquée dans la dissolution des fonctions (et dans l'intégration neurologique), jusqu'au meurtre de la Chose impliquée dans la naissance du Sujet de la parole par son accès au Symbolique comme au principe de Réalité en s'appuyant toujours sur une clinique indépassée des structures existentielles négatives et positives.

Trajet extraordinaire d'une vie de débats au plus haut niveau intellectuel avec toutes ses implications, débats que l'on retrouvera tels qu'ils les avaient énoncés dans les travaux psychanalytiques les plus récents de son élèves A. Green42 , comme d'ailleurs dans des travaux de champs apparemment éloignés de très grands intellectuels de l'art et de l'Esthétique comme Adorno43.

 

Il faudrait dire avant de conclure, que la dialectique de la Forme et du Contenu n'est pas une élaboration purement intellectuelle et "formaliste" de la psychiatrie, car elle débouche sur:

1°) Un abord de la clinique comme forme d'existence d'un sujet parlant.

2°) Une place prépondérante de la psychothérapie comme essentielle à l'acte psychiatrique (ce qu'il n'est pas inutile de rappeler par les temps qui courent) qui soutient "par le haut" le processus d'élaboration-sublimation des pulsions. Et en conséquence une place théorisée de la psychanalyse dans le champ psychiatrique.

3°) Une place de l'organicité des troubles mentaux liée à trois notions essentielles: l'Organisation, la fonction de Négativité et l'Hétérogène. Nous pourrons alors relire autrement l'article de Freud en 1925 sur la Verneinung et interroger quel hétérogène permet le passage (l'Erszatz ou la succession) de l'expulsion au dehors du moi-plaisir originaire à l'acte intellectuel de la Négation. Et d'en déduire toutes les formes cliniques, voire la nosologie, que génère l'articulation entre les avatars affectifs et pulsionnels de l'expulsion et les maturations ou immaturations du SNC.

4°) Une conception des thérapeutiques biologiques et pharmacologiques non comme sédation- abrasion des symptômes, mais comme apport "par le bas", renfort à la Négativité défaillante de l'Etre (ce que d'ailleurs tend à confirmer l'effet des nouvelles molécules dites, à juste titre, antipsychotiques et non plus neuroleptiques).

5°) Une direction pour la recherche sur le négatif comme Henri Ey lui-même l'avait définie au Congrès de Madrid de 196644 et avait commencé à mettre en place dès 1960 à Bonneval avec Cath. Lairy45 .

 

En conclusion rappelons que le Délire et l'Hallucination sont toujours, ce que les études actuelles tendent à oublier dangereusement, des productions d'un être parlant et plus particulièrement parlant avec nous, c. a d. mettant en jeu dans la parole son Ics dans son rapport à l'autre. Citons pour terminer encore une fois Ey:

"Quand nous avons mis en évidence la négativité de l'active fonction de l'être conscient, nous avons pour ainsi dire fait apparaître l'évidence d'un possible anéantissement de l'ordre auquel, pour le nier ou le dénier, l'être conscient soumet la positivité de l'Ics. Lorsqu'avec H. Jackson nous disons que l'essentiel de la maladie mentale c'est le «trouble négatif» qui la conditionne,nous ne disons rien d'autre que cette évidence: en n'exerçant plus son pouvoir de négation de l'Inconscient, en devenant lui-même inconscient, le sujet se livre à la positivité de son Inconscient."46

Et il ajoute:

"Tel est le schéma de toute science psychiatrique possible."

 

Nous sommes bien d'accord avec lui: la science psychiatrique passe par une étude du Négatif.

Dr Patrice Belzeaux