Il décrit trés bien la catastrophe vers laquelle va la psychiatrie, si elle persiste à négliger la clinique et la psychopathologie au regard de la recherche expérimentale et des approches statistiques.
Dire que le DSM n'a rien résolu sur la question de la définition de la schizophrénie est courageux et nécessaire.
Parler du temps et de l'évolution, de Bleuler et de la clinique européenne, nous fait penser à H. Ey (le premier à introduire Bleuler en France, à promouvoir une psychopathologie descriptive, et à centrer son attention sur les critères d'évolution).
Comment ne pas penser à H. Ey lorsque N. Andreasen appelle de ses voeux "des intelligences bien préparées, capables d'intégrer des approches sophistiquées venant de domaines très différents"..., lui pour lequel, "l'Intégration" était plus qu'un concept, une philosophie de vie.
Pas de recherche sans les cliniciens
rédactrice en chef de l'American Journal of Psychiatry
Qu'est devenue la
         recherche clinique comme on en faisait autrefois? Que sont
         devenues les études qui prennent en compte
         l'épidémiologie, la psychopathologie
         descriptive, l'évolution dans le temps de la
         pathologie?    Qu'est devenue la recherche
         clinique comme on en faisait autrefois? Que sont devenues
         les études qui prennent en compte
         l'épidémiologie, la psychopathologie
         descriptive, l'évolution dans le temps de la
         pathologie? Depuis qu'on ne les perçoit plus comme
         «sexy», « percutantes », «
         sophistiquées » ou même «
         scientifiques », les études de ce type sont de
         plus en plus rares. Elles nécessitent très peu
         d'appareillage technique. Il faut, pour les faire, seulement
         avoir un cerveau, être capable de penser, savoir
         observer les patients et savoir enregistrer
         systématiquement ses propres observations, mesurer
         des items afin de les rendre exploitables avec des
         méthodes statistiques qui peuvent être
         complexes mais qui peuvent être aussi très
         simples.     Aux Etats-Unis, la
         génération des chercheurs cliniciens qui a
         façonné cette spécialité pendant
         de nombreuses années a disparu - je pense à
         Eli Robins, Gerry Klerman, George Winokur- ou est sur le
         point de disparaître. Bien peu de jeunes chercheurs
         apparaissent comme capables de prendre leur suite. Et l'on
         sait que, dans ce pays, pour être
         considéré comme un scientifique
         «sérieux», il faut faire de la science
         expérimentale.
         Heureusement, les
         Européens ont conservé une tradition de
         recherche clinique et de psychopathologie descriptive dont
         ils peuvent être fiers. Un jour, au XXle
         siècle, lorsque le génome et le cerveau
         humains auront été complètement
         cartographies, peut-être sera-t-il nécessaire
         de mettre en place un plan Marshall inversé pour que
         les Européens sauvent la science américaine en
         lui permettant de comprendre réellement qui est
         schizophrène, ou même ce qu'est la
         schizophrénie. La fragile école
         américaine de psychopathologie descriptive aura alors
         disparu corps et biens. En attendant, nous risquons de ne
         pas pouvoir utiliser les retombées du projet de
         décryptage du génome humain dans les maladies
         mentales complexes car nous n'aurons plus de chercheurs en
         clinique qui aient consacré leur carrière
         à connaître la nature et la définition
         des symptômes, des syndromes, des maladies et la
         manière de les diagnostiquer.         Certains prétendent que ce
         problème est résolu. Le DSM (Diagnostic and
         Statistical Manual of mental disorders) n'est-il donc pas
         suffisant? Malheureusement, non. Le DSM a été
         conçu comme un manuel clinique pour simplement
         «trier» les patients. Ses descriptions des
         multiples troubles psychiatriques sont volontairement
         simples, incomplètes et dispersées. C'est en
         particulier le cas pour la schizophrénie. Les
         critères d'inclusion du DSM ne sont pas
         destinés à faire de la recherche et, en
         particulier, pas à faire des études
         sophistiquées qui s'intéressent aux
         gènes de susceptibilité, aux cas latents ou
         sous-liminaires, ou à faire comprendre les relations
         entre de légères modifications au niveau
         cérébral ou cognitif, avec des symptômes
         ou des états globaux. On considère souvent que les
         critères d'inclusion permettant de poser le
         diagnostic de schizophrénie constituent aussi une
         définition de ce qu'est réellement la
         schizophrénie. Les rédacteurs du DSM ont
         pourtant toujours parfaitement expliqué que les
         critères et les descriptions qu'ils avaient retenus
         étaient le résultat d'un consensus. Leur seul
         objectif était d'adopter des notions fiables qui
         puissent devenir rapidement familières aux
         cliniciens. Il était aussi d'éviter les
         changements trop brutaux qui auraient rendues inutilisables
         les bases de données constituées en
         épidémiologie ou dans d'autres domaines de la
         recherche.         Décider qui est
         schizophrène et quels patients inclure dans les
         études est la chose la plus difficile à
         réaliser. Le travail dans un laboratoire
         expérimental, aussi compliqué soit-il
         (programmer des robots ou produire du gel) est, en
         comparaison, bien plus facile. La plupart des questions
         posées par l'approche clinique restent ainsi
         ouvertes. Quelles sont les limites des pathologies? Le
         concept de schizophrénie inclut-il le trouble
         schizo-affectif ou des affections non psychotiques comme le
         trouble schizotypique? Le syndrome de
         pseudo-schizophrénie, qui survient dans le cas d'abus
         de certaines drogues, peut-il être
         considéré comme une «réelle»
         schizophrénie? Cette pathologie est-elle finalement
         une entité unique? Est-elle
         hétérogène? Si elle l'est, comment en
         décrire les sous-types ? Quels sont les
         symptômes qui la définissent? Est-ce que ce
         sont les symptômes psychotiques mis en avant par le
         DSM ? Est-ce que ce sont les symptômes plus
         fondamentaux qu'avait définis Bleuler,
         c'est-à-dire des symptômes de type
         déficitaire? La définition de la
         schizophrénie doit-elle être faite à
         partir des symptômes? Quelle est l'importance de son
         évolution pour sa définition? Que peuvent nous
         enseigner l'évolution et l'issue sur la
         physiopathologie? Que nous apprend
         l'épidémiologie dans ce domaine? Ces
         questions, embarrassantes, sont sans fin. Ignorer leur
         importance facilite peut-être les choses mais ce n'est
         qu'une vue à court terme.       Pour répondre à ces
         questions, il faudra des intelligences bien
         préparées, capables d'intégrer des
         approches sophistiquées venant de domaines
         très différents. Mais il est évident
         que nous devons nous investir sérieusement dans la
         formation d'une nouvelle génération de
         véritables experts en psychopathologie clinique.
         Faute de quoi, nous qui voulons être des scientifiques
         de haut niveau, nous risquons de nous réveiller dans
         dix ans pour découvrir que nous sommes dans un
         «désert». Développer les nouvelles
         technologies sans la collaboration de cliniciens
         avisés, experts en psychopathologie, aurait alors
         été une entreprise solitaire, stérile
         et sans doute vaine.   Am.J.Psychiatry 155.Dec 1998
         (Traduction Catherine Bousquet pour forum
         pharma-santé N°0 nov 99
         Sanofi-Synthélabo) PS: Cette traduction du texte de N.
         Andréasen donnée comme complète, est
         malheureusement, par rapport au texte initial,
         tronquée de sa première partie, son titre est
         inexact, elle est en outre inexacte dans certains
         substantifs et parfois semble-t-il dans le fond. Elle est
         l'objet d'un débat entre nous. Nous en reprendrons la
         traduction. NDLR   Heureusement, les
         Européens ont conservé une tradition de
         recherche clinique et de psychopathologie descriptive dont
         ils peuvent être fiers. Un jour, au XXle
         siècle, lorsque le génome et le cerveau
         humains auront été complètement
         cartographies, peut-être sera-t-il nécessaire
         de mettre en place un plan Marshall inversé pour que
         les Européens sauvent la science américaine en
         lui permettant de comprendre réellement qui est
         schizophrène, ou même ce qu'est la
         schizophrénie.   Le DSM (Diagnostic and
         Statistical Manual of mental disorders) n'est-il donc pas
         suffisant? Malheureusement, non. Le DSM a été
         conçu comme un manuel clinique pour simplement
         «trier» les patients. Ses descriptions des
         multiples troubles psychiatriques sont volontairement
         simples, incomplètes et dispersées. C'est en
         particulier le cas pour la schizophrénie.     Décider qui est
         schizophrène et quels patients inclure dans les
         études est la chose la plus difficile à
         réaliser... Est-ce que ce sont les
         symptômes plus fondamentaux qu'avait définis
         Bleuler, c'est-à-dire des symptômes de type
         déficitaire? La définition de la
         schizophrénie doit-elle être faite à
         partir des symptômes? Quelle est l'importance de son
         évolution pour sa définition? Que peuvent nous
         enseigner l'évolution et l'issue sur la
         physiopathologie? Pour répondre
         à ces questions, il faudra des intelligences bien
         préparées, capables d'intégrer des
         approches sophistiquées venant de domaines
         très différents. Mais il est évident
         que nous devons nous investir sérieusement dans la
         formation d'une nouvelle génération de
         véritables experts en psychopathologie
         clinique.